Monday, 13 November 2017

"processus de transformation d’Istanbul en mégapole tiers‑mondiste."

L’endroit choisi ne faisait que prolonger toujours vers le Nord l’axe de l’urbanisation, et l’opération, montée dans le cadre d’une accession à la propriété grâce à un crédit bancaire légèrement allégé, ne pouvait pas répondre aux besoins qui avaient entraîné les occupations. Ainsi, au moment où le nombre des gecekondu était officiellement chiffré à 8 239 par le recensement de 1950, une opération de 400 pavillons coquets avec jardin venait de se terminer, donnant naissance à un nouveau quartier résidentiel au Nord de la ville. Le parti démocrate, suivi en cela par ses successeurs, trouvera alors un autre moyen pour intégrer les nouveaux quartiers auto‑construits, tout en conservant sa clientèle électorale. S’agissant presque toujours d’occupations de terrains publics, le pouvoir procéda régulièrement, et de préférence avant chaque échéance électorale, à des distributions de titres de propriété, légalisant en même temps la construction. Cette opération faisant entrer les constructions dans le marché légal, le reste suivait par reconstructions successives de la baraque initiale en immeuble de rapport, grâce à l’intervention de constructeurs‑promoteurs acquérant gratuitement le bien et rétrocédant une partie des mètres carrés construits (généralement deux étages sur les quatre initialement autorisés) à l’occupant d’origine devenu propriétaire. Ce processus, en dégageant la municipalité de toute obligation préalable d’équipement, faisait de celui‑ci l’objet de nouveaux marchandages politiques. C’est ainsi que s’engagea le processus de transformation d’Istanbul en mégapole tiers‑mondiste.
(…)
La population de l’agglomération atteint 1 268 771 habitants en 1955 et 1 466 535 en 1960 (contre 1 882 092 pour le département à cette dernière date). La population née hors du département atteint alors 57 % du total. 61 400 gecekondu sont recensés en 1959, et 120 000 en 1963, abritant 660 000 personnes. Les quartiers des bidonvilles forment alors un arc de cercle cernant l’agglomération du côté européen.
L’ère des coopératives 
L’extension de l’agglomération, entraînant la raréfaction des terrains destinés aux classes moyennes ou au moins aux catégories solvables, mais peut‑être surtout les mesures prises par le pouvoir militaire après 1980, entravant le processus de clientélisme politique lié à l’occupation et à la gestion des terrains périurbains, ont contribué à développer les coopératives de construction. (***La moyen class de l'AKP appartient a ceux des müteahhit (qui construit des bâtiments comme profession mais ne soit pas l'architecte ni l'ingénieur par formation académique) ont emerge dans ce temps-la quand les cooperatives pouvaient avoir un beau coup de profit de l'économie) Celles‑ci, d’origines corporatistes ou issues des cotisations des affiliés à la sécurité sociale, datent des années 1970, mais elles se sont développées dans les années 1980, quand elles sont devenues le meilleur moyen de collecte de fonds pour les lotisseurs promoteurs. Cette procédure n’entraîna pas forcément la légalisation de la construction, ni, a fortiori, l’insertion de ces ensembles dans une structure urbaine planifiée ou équipée. Les promoteurs chercheront toujours des terrains non constructibles d’après les différents plans d’urbanisme et essayeront d’imposer leur choix, forts du soutien des adhérents à leur coopérative.
Les opérations en coopérative auront une prédilection pour la tour de 10 à 20 étages, consommatrice de peu d’espace au sol, et leurs ensembles seront de préférence situés aux interstices des quartiers déjà développés à l’horizontale. Elles se manifestent ainsi notamment dans les arrondissements de Bakırköy, où 45 % des permis de la fin des années 1980 concernent des coopératives, ainsi que dans les arrondissements de Beşiktaş sur la côte européenne et dans ceux de Kadıköy et de Kartal sur la côte asiatique. Toutefois, si dans l’ensemble de la Turquie et pour les années 1985‑1990 la part des permis délivrés pour des logements en coopérative concerne 30,8 % du total, ce chiffre est de 21,4 % pour Istanbul pendant la même période.
Fig. 4. – Le grand Istanbul

Stéphane Yerasimos, « Istanbul : la naissance d’une mégapole », Anatoli 

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