Monday, 13 November 2017

La planification de l'espace en Turquie, Stephane Yerasimos (1988)

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Le premier fut le projet régional de Marmara-Est, c'est-à-dire celui du grand Istanbul et de son aire d'influence. Depuis le départ de Prost en 1951 et son remplacement par l'italien Piccinato, le gouvernement avait réalisé quelques-unes des percées spectaculaires prévues par Prost mais l'accroissement rapide de la population avait rendu tout plan antérieur caduc. Le projet de Marmara-Est fut sans doute la première tentative sérieuse de planification régionale mais resta doublement handicapé en amont par l'impossibilité de contrôler l'exode rural et en aval désarmé par la spéculation foncière et l'urbanisation sauvage. Même s'ils ont eu la prudence de suivre les tendances naturelles de l'extension urbaine, les planificateurs tablèrent sur une population de 3,3 millions à atteindre en vingt ans pour les quatre départements de la région, or en 1980 la population atteignait les 7 millions. Le projet, soumis à l'Organisation du Plan en 1963 ne fut jamais approuvé42. Cette tentative fut suivie par la création du Bureau du Plan Directeur d'Istanbul en 1966. Celui-ci prépara le plan directeur du Grand Istanbul prévoyant une population de 5,5 millions en 1990, chiffre déjà dépassé en 1980. Ce plan ne fut jamais approuvé et on continue sous le nom de projets successifs à réaliser encore aujourd'hui des tranches du plan Prost. 
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Planification régionale et décentralisation  
La planification apparaît aujourd'hui dans les pays du Tiers-Monde comme une course sans fin contre l'explosion démographique, la pénurie chronique des ressources et la spéculation. L'absence d'une compétitivité réelle et durable, que ce soit dans le domaine de l'industrie ou dans celui de l'agriculture, fait que la plus grande partie de la plus-value n'est obtenue que par des moyens spéculatifs, biens et valeurs achetés et vendus en profitant des poussées inflationnistes et des manipulations spéculatives. Dans ces conditions le moteur de l'économie n'est pas la planification mais la déréglementation qui seule autorise ces plus-values, la gestion de l'espace ne faisant nullement exception à cette règle. Dans le cas de la Turquie ce mécanisme est doublé du poids de l'idéologie nationale qui refuse de reconnaître toute entité régionale comme une entité autonome de planification. Pourtant, la déréglementation même de l'économie, entraînant celle du corps social en Turquie, porte en elle les germes de la décentralisation. Puisque le pouvoir politique doit tenir de plus en plus compte du pouvoir économique et que ce dernier devient de plus en plus diffus. Le résultat de cette tendance fut le pouvoir accordé aux municipalités par le régime d'après 1980. Si la première municipalité de l'Empire ottoman fut créée en 1857, l'élection des maires date de l'après 1960 et jusqu'aux années 1980 ceux-ci n'avaient que des ressources dérisoires pour administrer leurs municipalités. Or, à partir de 1983, les ressources affectées leur permettent d'entreprendre l'aménagement de leur propre territoire. Cela donne par exemple les grands travaux tant controversés du maire d'Istanbul. Ce dont il est ici question est la part du gâteau revendiquée et obtenue par le pouvoir local. Mais les rouages économique étant ce qu'ils sont, ces ressources ne peuvent fructifier que par la déréglementation locale, la spéculation immobilière ou la spéculation tout court. Dans ces conditions, la gestion centralisée des espaces régionaux risque de faire place au laisser-faire décentralisé. 

Voir:
La planification de l'espace en Turquie, Stéphane Yérasimos
Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée Année 1988 Volume 50 Numéro 1 pp. 109-123

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